À l'Odéon-Théâtre de l’Europe, pour voir Macbeth—écrit par William Shakespeare et traduit en français par Daniel Loayza et le metteur-en-scène, Stéphane Braunschweig (Les Solitaires Intempestifs, 2018)—personne ne peut éviter les différences claires, inspirées par le privilège socioéconomique, qui sont construites dans le bâtiment-même. Lorsqu’à la corbeille, on peut toujours voir toute la scène, ce n’est pas forcément le cas pour les gens au paradis. La structure du théâtre forme un continuum de privilèges, parallèles aux prix du billet, et par extension, du statut socioéconomique. Trouver une bon perspective, c’est presque un jeu de pouvoir.
Le rideau s’ouvre sur une pièce totalement blanche, ornée de carrelage simple, comme une prison ou un hôpital psychiatrique. Voilà les trois sœurs, chacune assise sur un seau gris. Elles se sont étalées, chaque femme avec son propre tiers de la scène. Les sœurs fatales sont toutes enceintes, et elles caressent leurs ventres en disant leurs mots, interrompus de petits gémissements, tels des chats.
Soudainement, vient le tonnerre, et le mur derrière les femmes se divise en deux, en séparant du centre, pour dévoiler une salle extrêmement élégante, décorée de pièces d’art de la haute-culture, qui montrent des femmes, toutes nues et vulnérables, comme des anges. Tout ce qui est dans cette salle est symétrique et extrêmement ordonné, pour qu’elle puisse toujours séparer sans avertissement. Chaque fois que le tonnerre foudroie, la scène se termine et l’endroit change. Lorsque l’avant-scène blanc reste constant pendant toute la pièce, le thème de la salle derrière les meubles et l’existence-même de cette salle sont toujours variable. Voilà la construction d’une double-scénographie : Le public voit quelquefois plusieurs scènes, dans des endroits différents, en même temps. C’est la raison pour laquelle cette mise-en-scène peut désorienter son spectateur.
Cette scénographie mi-bourgeoise mi-hôpitalesque offre une forte modernisation à la pièce. Les costumes de tous les personnages sont des XXe et XXIe siècles, et les meubles de même. Les seigneurs portent des manteaux pour des chefs militaires—de colonels contemporains qui prennent la place de la royauté à l'époque de Shakespeare. Les costumes de Macbeth et de sa femme sont et modernes et à la mode. Une fois, Macbeth et sa femme s’assoient ensemble, à côté du mur, à l’avant-scène. Il porte une chemise blanche à rayures fines, avec le bouton du haut déboutonné, des pantalons noirs, et des chaussures en cuir. Sa femme porte une robe noire et lacée, avec de fines bretelles. Devant eux, une bouteille claire qui porte l’étiquette : « Stolichnaya : Premium Vodka » . Macbeth est couvert de sang, mais cela donne l’apparence plutôt des modèles maudits dans un cauchemar de H&M que de la royauté troublée au XVIe siècle.
Dans une autre scène, les dichotomies de styles de costume entre les différents personnages sont évidents. À l’avant-scène, il y a le capitaine, en sang de la tête aux jambes, sans chemise et avec un pantalon très épais—vert et durable comme celui d’un soldat contemporain. Au centre, les trois sœurs sont toutes habillées en robes bédouines, avec du tissu presque transparent, décorée par des fleurs des couleurs vibrants. Ces vêtements forment une perspective colonialiste des femmes exotiques, qui possèdent soi-disant des pouvoirs que personne ne comprend entièrement. Derrière elles, il y a trois hommes royaux—Malcolm porte un pull col roulé rouge et un pantalon gris ; Duncan un gilet gris, une cravate rouge, et des lunettes à bord épais ; et Donalbain un grand veston de sport bleu à rayures fines et bleues claires, un médaillon d’or sur sa poitrine, une chemise, un pantalon, et des chaussures noires. Leurs costumes montrent l'artificialité des riches, dans un contexte qui implique la royauté de l'époque de Shakespeare et la petite-bourgeoisie d’aujourd’hui.
Les activités des acteurs sur scène sont quelquefois anachroniques. Le fils de Macduff surf sur internet sur scène, par exemple. Cependant, tandis que la représentation est modernisée, cela reste flou. Quelle est l'hypothèse dramaturgique de Stéphane Braunschweig ? Que pourrait-elle être dans cet équilibre entre juxtaposition des inégalités contemporaines et récit du passé ?
Le problème avec un Macbeth contemporain est que la comparaison entre les personnages et des figures politiques est facile à faire, car la pièce est en fait centrée sur le désir de tout contrôler. C’est peut-être la raison pour laquelle Stephane Braunschweig a choisi de montrer Macbeth dans un contexte modernisé, mais sans spécificité, pour que le public puisse voir que les thèmes sont pertinents aujourd'hui—sans qu’ils ne soient liées à des faits-divers précis. Cette représentation forme une critique de la société d’aujourd’hui, mais pas des figures politiques en particulier.
Cette mise-en-scène nous montre un monde où la « seconde nature » , à la Bruno Latour, compose la plus grande force en gouvernant les lois et coutumes de la pièce. C’est-à-dire, le capitalisme, « auquel nous nous sommes tout à fait habitués et qui a été totalement naturalisé » contrôle l’environnement de cette pièce. C’est n’est pas la première nature écologique à laquelle on pense normalement, mais une construction socio-économique, mécanique, voire néolibérale. Ainsi, la forêt qui est si primordial dans cette pièce est plutôt artificielle, un produit de centaines d'années de développement technologique. Au lieu des arbres conventionnels, elle est composée des bâtiments et des salles auxquels nous sommes maintenant habitués. Comme une forêt écologique, nous ne savons pas forcément l’histoire de sa création physique. La raison pour laquelle la scénographie est exactement comme cela—avec chaque chaise à sa propre place et tous les peintures exactement en ordre—reste un mystère, mais tout le monde peut toujours la reconnaître sans problème. Une forêt écologique possède un effet similaire à celui de cette mise-en-scène : tout le monde pourrait identifier les arbres, la terre, et les sources d’eau, mais la création exacte reste mystérieuse et dedans, sans carte, il est très facile de se perdre parmi tout ce qui est autour de soi. À l’instar de Braunschweig, la nouvelle forêt du monde civilisé est composée de salles juxtaposées et interconnectées, qui peuvent changer et bouger comme une labyrinthe—des univers divisés par classes et pouvoir politique. Ce n’est guère différent de la construction du théâtre.
C‘est pour cela que le déplacement d’une véritable forêt derrière la scène a du sens à la fin de la pièce. C’est le dénouement pour les personnages—qui parviennent tous à une solution finale, en tuant Macbeth et en reconstruisant une stabilité politique en Écosse—mais aussi pour la scénographie. La métaphore des pièces sur scène s’est actualisée, en mélangeant la forêt de la première nature écologique avec la seconde nature capitaliste et dominante. C’est dans la forêt de la première nature que Macduff tue Macbeth, mais c’est dans la forêt de la seconde nature que ce meurtre est significatif, parce que c’est là que le pouvoir politique et économique détermine tout.
Il est possible de voir cette pièce comme une représentation écocritique de notre insistance que la seconde nature est plus importante à protéger, même quand c’est exactement cela qui promeut les inégalités socioéconomiques montrées sur scène et démontrées dans l’organisation des places au théâtre. Tandis que la pièce écrite par Shakespeare critique les gens focalisés sur le pouvoir politique, Braunschweig réprimande tout ceux qui soutiennent le système sociétal qui ouvre la possibilité de la réussite politique aux gens eux-mêmes qui peuvent l’abuser. Il critique tout ceux qui achètent des vêtements fabriqués par des systèmes immoraux, en montrant leur fragilité et insignifiance à long terme, mais en plus, la valeur que beaucoup de monde place en ces matériaux nouveaux, au développement de techniques qui ne sont pas nécessaires, et la popularité des gens qui suivent ces décisions insensées.
Ressources
LATOUR, Bruno. « On some of the affects of capitalism » . L'Académie royale, 26 fév. 2014, Copenhague.
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