19 mai 2018

Happiness therapy est-il vraiment indépendant ?

Happiness therapy (Silver linings playbook) (David O. Russell, 2012) a un grand budget de 21 000 000 $ et une distribution de vedettes, bien connus à travers les Etats-Unis et le monde. Il est raisonnable d’imaginer que ce film n’est pas nécessairement indépendant. Pour Chris Tucker, l’acteur qui joue Danny dans le film, il dit sans hésitation : « Ce film avait vraiment l’air indépendant » . Sean McManus, le président de Film Independent, dit aussi que c’est une véritable dépiction du rapport entre le réalisateur et son propre fils, qui a lutté avec des maladies psychologiques. Néanmoins, pour beaucoup de monde, l'entrée de ce film dans les prix d’Indie Spirit et sa qualification comme indépendant n’est pas légitime ni équitable pour les autres films qui ont des budgets de production bien plus petits. Ainsi, la qualification de ce film est certainement contestable et une source de controverse aux Etats-Unis.

Ce film est un bon cas si on essaie de considérer quelles sont les caractéristiques d’un film qui le rendent vraiment indépendant. En dehors du placement du film dans le secteur industriel du cinéma américain—où on considère son coût de production et sa société de production—ce sont normalement des techniques dans le film-même qui déterminent si le film est indépendant ou un blockbuster. Hormis la considération financière, il s’agit de regarder la politique de représentation, d'identité, de la poursuite de bonheur par les américains ordinaires. Il est aussi important d’analyser les choix formels de l’esthétique du film, vis-à-vis des codes hollywoodiens. La relation d’un film avec les standards hollywoodiens forme un élément très important pour décider si le film incarne vraiment l'esprit indépendant.



Avec ces considérations, on marque les films selon deux types de postures, et trois types de logique, vis-à-vis des productions contemporaines hollywoodiennes. Un film peut suivre une posture négociée ou résistante : Lorsque la première suit des codes hollywoodiens—en recyclant des images, des techniques, ou des motifs de représentation—l’autre est presque complètement opposée aux standards hollywoodiens. Le film résistant se radicalise, pour inverser les modèles Hollywoodiens. Les trois logiques sont d'authenticité, d’alternative, et de différenciation : la première logique est de faire un film plus vrai, plus proche de la réalité américaine que les films blockbusters. La deuxième est de faire autre chose que Hollywood. La troisième tente de faire mieux que Hollywood, avec bien moins de ressources. Ces logiques et ces postures formulent un bon cadre pour qualifier les idéologies provoquées par un film et son niveau d'indépendance.

Pour un film d'un grand budget, avec une distribution des vedettes internationales, comment Happiness therapy représente les problèmes et les crises des gens marginaux à l'intérieur-même de la classe dominante ? Comment rend-il cette histoire d’amour endommagé—en sus des motifs de dépression, de deuil, et de dépendance—réaliste et résistant aux codes hollywoodiens de standardisation des rapports amoureux, et familiaux, et de la récupération de la deuil ?

Dans ce dossier, j’analyserai si Happiness therapy est vraiment indépendant selon trois perspectives différentes. Premièrement, j’expliquerai sa connexion avec la politique du désespoir, de la solitude, et de la dépression. Ce sont des problèmes qui affligent plusieurs personnages dans ce film, pendant une très longue durée. Il s’agit d'identifier la représentation de ses personnages doit être réaliste et complexe, pour construire un récit « plus vrai » que les films standards hollywoodiens. Je continuerai en avançant sur le sujet de la politique des identités et des personnages en crise, en identifiant la représentation de personnages d’identités différentes et en analysant la manière dont les personnages en crise sont montrés. Finalement, j'interrogerai la posture négociée du film, vis-à-vis des codes hollywoodiens, pour voir si les logiques d'authenticité et de différenciation dans ce film sont légitimes et significatives.

1. La politique du désespoir, solitude, et dépression

Les problèmes du désespoir, solitude, et depression affligent plutôt Tiffany (Jennifer Lawrence) et le père de Pat (Robert De Niro). Tiffany se bat avec la deuil et la douleur d’avoir perdu son mari quand elle était si jeune. Sa mort n’est pas guère expliqué par les personnages. Néanmoins, le décès du mari de Tiffany l’a traumatisée, et cette phase de sa vie est bien marquée par la confusion et le désordre, pendant qu’elle essaye de récupérer et de recommencer une vie normale. Pour le père de Pat, les racines de son addiction des jeux d’argent et des paris sur le football américain sont toutes cachées dans le film. En fait, les personnages dans le film voient son addiction plutôt comme une constante, un attribut du père qui est sûrement négatif, mais auquel tout le monde s’habitue.

Pour Tiffany, sa première stratégie de faire face à la mort de son mari, c'était coucher avec tous les gens de son ancien bureau, pour trouver de petits moments de connexion charnelle, même si elle ne les aimait guère. Cependant, la première fois qu’elle explique pourquoi elle a décidé encore et encore de coucher avec ses collègues, elle exploite cette expérience de tout justifier comme une réaction au traumatisme. C’est aussi le seul moment dans le film entier où les personnages mentionnent même l'idée qu’une femme puisse s’engager dans l'activité sexuelle avec une autre femme. Tiffany et Pat (Bradley Cooper) sont à table ensemble à Llanerch Diner durant la fête de Halloween. Quand Tiffany s’ouvre à lui et commence à parler de l’histoire du deuil de son mari, elle raconte les moments où elle était vulnérable émotionnellement, où elle a couché avec tous les gens dans son bureau. En expliquant ses relations charnelles avec toutes les femmes du bureau, aussi, Tiffany n'hésite pas à les justifier rapidement comme un symptôme de son deuil. Elle dit à Pat, « J'étais très déprimé après la mort de Tommy ». Cette conversation permit à Tiffany de confirmer la trope que l’intercourse sexuelle entre deux femmes n’est qu’une phase, une réaction au traumatisme.

En revanche, la réaction de Pat à cette histoire affirme le regard des mâles sur le lesbiannisme comme un phénomène extrêmement excitant pour les hommes hétérosexuels. Pat est incroyablement intéressé, mais ce n’est pas parce qu’il compatis ou veut vraiment comprendre le processus de Tiffany de faire face à son traumatisme. Il est libidineux. Il tend ses muscles, il essaie fréquemment d'arrêter la conversation, parce qu’il a un peu honte de parler de ce sujet dans un espace si public. Cependant, chaque fois, il pose une autre question plus personnelle. Il dit « J'arrête d’en parler… Combien ? » et elle lui répond sans hésitation ni remords, onze. Il lui demande encore, « Juste une question. Il y avait des femmes ? » pour signaler qu’il va bientôt arrêter, mais ce n’est pas le cas. Quand elle le confirme, il lui demande encore, plus spécifiquement, « C'était du genre, des femmes mûres, une prof sexy qui veut te séduire ? » , parce que cette image de deux femmes ensemble l’excite. Imaginer une dynamique de pouvoir entre Tiffany et sa collègue quand elles couchent, c’est une expérience étrange, exotique et excitante pour lui, et c’est tout ce qu’il craint qu’ils ne puissent faire, sans disruption de son mariage.

Cette conversation ne la gêne pas peut-être parce qu’elle s’est habituée à changer ses habitudes pour plaire aux hommes avec qui elle est proche, pour continuer à poursuivre des coups d’un soir. C’est pour cela qu’elle offre, le premier soir de leur rencontre : « Tu peux me baiser si tu éteins la lumière » . Cependant, comme beaucoup de films hollywoodiens qui suivent des intrigues hétéronormatifs, cette interaction renforce la sexualisation de l'identité lesbienne par les hommes hétérosexuels. C’est aussi justifié par Tiffany, qui continue à parler de ses expériences comme des phases d'instabilité psychologique, parce que ce n’est pas sa propre identité. Du coup, il peut sexualiser le passé de Tiffany, parce que c’est n’est plus une réflexion d’elle.

En revanche, le père de Pat représente une différente lutte avec le désespoir et les maladies psychologiques. Pour lui, personne ne fait référence aux vraies causes de son addiction. C’est toujours acceptée comme quelque chose d’inévitable et de non-modifiable. La résistance totale du père d’essayer de faire face à sa dépendance des jeux d’argent oblige le reste de la famille à l’accepter, et de suivre ses directions, même quand elles posent des problèmes directes pour tout le monde d’autre.

Alors que le rapport de Pat et Tiffany est directement au centre du film, ce sont les actions du père qui s'accélèrent et qui attachent des enjeux élevés à tout ce qui se passe. Il demande certainement à Pat de regarder tous les matchs des Eagles avec lui, dans une chaise spécifique, avec son propre jersey de DeSean Jackson—un athlète dans l'équipe. La première scène où son comportement obsessif commence vraiment à détériorer le processus de récupération de Pat, c’est le moment où il oblige Pat à assister au match important des Eagles. Il vient dans la chambre de Pat, le réveille, et lui parle doucement, un sujet théoriquement bénéfique pour Pat : « Je crois qu’il serait prudent de passer du temps ensemble » en recherchant et parlant des Eagles. Pour une relation normale entre un père et son fils, c’est une bonne manière de se rapprocher. C’est la raison pour laquelle son père est réduit aux larmes avant la fin de la scène—parce qu’ils n'étaient pas assez proches durant la jeunesse de Pat. Il veut l'inclure dans les jeux d’argent avec les Eagles « pour [l']aider à reprendre pied » .

Juste après, il dit encore qu’il a déjà fait un grand pari de tout son argent sur le match entre les Eagles et les Giants, et que c’est la responsabilité de Pat d’y assister, pour que le Juju soient en ordre. Il dit à Pat « Je crois en toi » , pour continuer à le manipuler et garantir son contrôle sur la vie de son fils. Au moment où Pat lui dit qu’en fait, il a déjà planifié une répétition avec Tiffany, pour finaliser le dernier mouvement de danse pour finir la routine, et qu’il est pris pendant toute la journée, mais son Père a déjà clarifié que ses paris sont comme une entreprise de famille, donc chaque membre doit faire des sacrifices. C’est un signe de son propre égoïsme, parce que les sacrifices sont toutes pour lui.

La deuxième moment où les conséquences négatifs de son addiction sont extrêmement claires est bien connecté au premier. Après que Pat entre dans un combat dans le parking du stade, son père le ridiculise encore et encore parce qu’il a apparement foiré avec le Juju, sans considération des grandes ramifications légales des événements de l'après-midi. Il lui crie, « Qu’est-ce que tu as fait ? Raconte, putain ! On a perdu. J’ai perdu une fortune. Qu’est-ce que t’as pris de péter les plombs ? » Ce moment de fureur ne concerne pas la santé de Pat, juste ses propres jeux d’argent. Il continue de dire à Pat qu’il pensait que Pat était « un roc » , et lorsque Pat essaye d’expliquer tout ce qui s’est passé, son Père l'interrompt pour déclamer « Tout est foutu » , l’appeler un « espèce de loser » , et donner toute la responsabilité de cette perte de la famille et les Eagles à son fils : « T’as tout gâché ! » Cette résistance totale de confesser qu’il a imposé des problèmes à la famille avec les jeux d’argent, et cette persistance à faire des reproches à son fils, quand les événements dans le parking n’avaient aucun effet sur le match, ce sont des signes d’une addiction morbide.

Plutôt que déterminer une solution qui marchera avec les nécessités de Pat et de sa propre dépendance des jeux d’argent, il décide de faire un parlay, un pari en deux parties pour gagner ou perdre deux fois le montant. Face à la perte, il persiste à enlever dramatiquement les enjeux. Cependant, c’est le choix du pari qui a l’effet le plus terrible. Il implique Pat et Tiffany : Ils doivent gagner au moins 5,0 sur 10 dans la compétition et les Eagles doivent gagner le match contre les Cowboys d’au moins 10 points. Pour lui, cette idée est peut-être à l’avantage de son fils. Il met de la pression pour que Pat continue à danser avec Tiffany, mais Pat est extrêmement faché et exaspéré pendant presque toute la conversation, pour montrer l'étendue de sa frustration et son stress, à cause du parlay. Pat essaye meme d’arreter entièrement de danser, pour refuser à participer à la « saloperie » de parlay. Cependant, cette décision n’est qu’une méthode mélodramatique pour justifier sa maladie et le stress que cela met sur sa famille.

Dans ce film, on voit deux personnages affligés par deux maladies extrêmement différentes, le deuil et l’addiction. Leurs symptômes de désespoir ne sont pas exactement pareils : Ils se manifestent à différents moments avec de répercussions différentes sur la famille et leurs relations proches. Et même si leurs réactions à leurs maladies psychologiques sont quelquefois problématique, en promouvant des tropes hégémoniques—que le lesbianisme peut être juste une réaction psychologique d’une expérience traumatisante ou que les relations entres deux femmes sont forcément excitantes aux hommes hétérosexuels—elles sont certainement vraies et genuines pendant toute la durée du film. Happiness therapy montre les moments brus et difficiles qui émergent après une chaîne d'évènements ardus, où de mauvaises décisions provoquent les pires décisions—comme le parlay du père de Pat après la perte des Eagles. Les personnages sont émotifs, mais pas dramatiques ; ils ont certainement des défauts, mais personne n’est une catastrophe insupportable. C’est une honnête dépiction du trauma dans la vraie vie, et c’est pour cela que ce film peut être considéré indépendant.

2. La politique des identités et des personnages en crise

Comme la responsabilité d’un bon film indépendant de montrer la véritable histoire de ses personnages quand ils sont face au désespoir et à la dépression, il est aussi extrêmement important qu’un film indépendant montre une vraie dépiction de personnes d’une variété d'identités. La grande histoire des films produits par les majors companies, les grandes sociétés de production comme MGM et Paramount, sont normalement hégémonique, renforçant des stéréotypes négatifs et promouvant une histoire simple de la vie parfaite pour des blancs. C’est la raison pour laquelle beaucoup de films contemporains indépendants prennent une posture résistante à cette histoire de réduction et effacement. Cependant, pour Happiness therapy, ce n’est pas forcément le cas. La distribution du film, premièrement, n’est pas incroyablement diverse—particulièrement dans le contexte de Philadelphie, une ville dont l’histoire est inextricablement liée aux relations de race. Il n’y a que trois personnages de couleur, et ils sont tous ou mineurs ou problématiques. Ce type de représentation continue à provoquer et avancer sur les stéréotypes négatifs. Il est peut-être un peu tôt de dire si ce film construit de nouveaux stéréotypes, parce qu’il vient de sortir en 2012, et ce processus peut développer bien plus tard. Cependant, la représentation des gens en crise, particulièrement Pat, qui doit récupérer d’un événement violent et traumatisant, est extrêmement charitable et réaliste. Dans la création de ce film, David O. Russell résiste à la tentation de peindre Pat comme une catastrophe, une tornade qui détruit tout ce qui est autour de lui. C’est un homme en lutte toujours avec son passé, avec sa prédisposition à aimer et à faire confiance aux gens proches de lui, parmi ses difficultés de communiquer tout ce qu’il veut par des mots. C’est pour cela que ce personnage est trop complexe à catégoriser en tant que malade ou psychopathe. Alors que les personnages de couleur réaffirment un peu de mauvais stéréotypes d'être sans morale ni beaucoup de significance, la depiction de gens en crise est véritable et charitable, c’est honnête, sans exaggeration.

Pour commencer avec une analyse de Danny, un des trois personnages de couleur, il est difficile de dire autre chose que le fait qu’il est adorable. Cet ami de Pat de la même facilité de traitement est incroyablement gentil aux autres personnages, sauf durant l’introduction, où il ment à Dolores (Jacki Weaver), la mère de Pat, pour quitter l'hôpital. Mais, immédiatement après, il prend toute la responsabilité de cet acte et s’excuse sans hésitation. Personne n’est parfait, mais avec un sourire comme le sien, il est tellement difficile de ne pas l’aimer. Son impact dans l’histoire est très significatif. Il apprend à Pat et Tiffany les mouvements de danses chics et complexes, et c’est probablement à cause de lui qu’ils gagnent autant de points dans la compétition. Durant cette scène d’apprentissage, il est tellement proche physiquement de Tiffany, et il lui instruit de bouger ses hanches, et plus tard, de bouger encore son « boule » . Il touche gentiment le dos de Tiffany, pour la guider. Cependant, il fait tout en tant qu’ami et enseignant ; il n’essaie jamais de la manipuler, de coucher avec elle, ou de foirer avec la relation entre Pat et Tiffany. Il soutient ses amis sans s’attendant rien. Il est gentil et adorable, mais néanmoins mineur. Les ramifications de ses actions font beaucoup d’impact, mais il n’est presque jamais là. Cependant, pour une ville avec une assez grande histoire de tensions raciales entre des gens blancs et noirs, entre les banlieusards et les les citadins, ce personnage représente que cela peut changer progressivement.

Ronnie (John Ortiz) représente aussi un personnage généralement sympathique, avec des problèmes normaux et compréhensible. Il serait facile à dire au début du film qu’il a des problèmes avec sa femme est il est irresponsable, parce qu’il hésite beaucoup à s’adresser à elle et essayer de vraiment trouver une solution à son mariage. Cette critique serait trop reductive, cependant, parce que son rapport avec sa femme forme une petite histoire parallèle de celle de Pat et Tiffany. Durant le fête dans le parking dehors le stade des Eagles, il confesse à Pat qu’il ne veut pas parler avec sa femme : « Elle me casse le moral, mec ! » Mais c’est à cause de la persistance de Pat qu’il parle éventuellement avec sa femme et qu’ils commencent à résoudre les tensions de leur mariage. C’est un défaut de son personnage, que Ronnie n’est pas parfait, mais cette relation de Pat rend son rôle du film bien plus important. Lorsqu’il peut donner des conseils à Pat pour l’aider à récupérer après son expérience à l'hôpital, Pat peut l’aider avec son esprit pour l’amour. Pat lui crie dans le parking : « Lâche pas ton couple ! Il y a de l’amour, je le voyais… Réparez-le. Faite-lui une séance d'ostéo ! » C’est une relation de soutien mutuel, entre des gens qui ne sont pas parfait mais qui veulent avancer. Comme Danny, le rôle de Ronnie dans ce film est largement symbolique. Il n’est pas devant la caméra tout le temps, mais considérant son rôle comme un faire-valoir à Pat, il est toujours pertinent et important dans l’histoire.

En revanche, Dr Patel (Anupam Kher) présente l’image d’un personnage plus complexe et problématique dans ce film. En tant que psychothérapeute, il avait une longue formation pour garantir son emploi, et il est bien éduqué. Cependant, son personnage est aussi un peu cruel à Pat. La première fois que Pat entre dans le bureau de psychothérapeute, il y a la chanson, « My chérie amour » sur les haut-parleurs, qui suscite une réaction émotionnelle tellement forte pour Pat, qui commence à réagir violemment, pour trouver l’enceinte et éteindre la musique. C’est parce que cette chanson particulière est la chanson de son mariage, et aussi, celle qui jouait quand il a trouvé sa femme avec un autre homme. Dr Patel justifie cette expérience : « Je voulais savoir si c'était toujours un déclencheur » . Cependant, pour quelque chose de si clair, il pouvait bien juste demander à Pat, ou faire cette expérience après un peu plus de temps ensemble, et pas avant la première séance. Sinon, c’est une forme de cruauté, de faire cette expérience sans le consentement de Pat ni un rapport positive entre eux. Plus tard, quand Pat le voit dans le parking dehors du stade des Eagles, quand il fait le fête avec ses amis, Pat lui demande directement au premier moment où il le voit, si leur fraternisation pose des problèmes pour son traitement : « Je suis pas censé vous voir, en dehors du cabinet. C’est illégal ? » Même parmi toute l’excitation, Pat se souvient de sa relation professionnelle avec son psychothérapeute, lorsque Dr Patel dément cette idée, pour dire que les matchs des Eagles sont l’exception de ces règles. Parce qu’ils sont des « frères en vert » , ils peuvent faire la fête avant le match ensemble, sans problème.

C’est clairement une mauvaise décision de Dr Patel, qui est obligé de suivre les règles de l’Association américaine des psychologistes (APA), qui conseille fortement de ne pas entrer dans une espace de « multiple relationships » , où un psychothérapeute peut raisonnablement éviter d’engager dans la vie de son client, en dehors des réunions. C’est une pratique immorale et universellement reconnue comme de mauvaise conduite. Cette relation devient plus difficile pour eux quand la situation devient violente, entre des gens blancs et nativistes—les amis et de Pat—et le groupe d’Asie du Sud, dont Dr Patel fait partie. Parce que le rapport entre Dr Patel et Pat est définitivement désigné pour empêcher les tentations de Pat d'entrer dans des combats, et c’est exactement l'envers qui se passe dans cette scène, leur relation finit abruptement et sans reconsidération au milieu du film.

Il est peu probable que le personnage de Dr Patel renforce vraiment des stéréotypes contre les gens d’Asie du sud. Il ne travaille pas dans un boulot sans qualification, comme dans une station de service—un stéréotype très connu pour les gens d’Asie du sud, donc dans ce sens, sa représentation dans ce film en tant qu’un homme avec plusieurs années d’une formation au troisième cycle serait bienvenue. Il est encore difficile de décider si ce film construit de nouveaux stéréotypes, parce qu’il est si jeune : Cinq ans n’est pas beaucoup pour créer une trope d’un seul film. Cependant, l’idée d’un psychothérapeute diabolique n’est jamais un bon regard pour personne, quelle que soit sa nationalité. Réserver les personnages les plus méchants aux acteurs de couleur, cela ne veut pas dire de bonnes choses pour l'équipe de réalisation.

Un autre aspect de représentation dans ce film est clairement les gens en crise : C’est au coeur du film cet homme qui récupère de son passé traumatisant, et l’image du personnage de Pat est extrêmement complexe dans ce film. Russell résiste toute tentation de simplifier Pat comme une personne sans valeur, qui ne pose que des problèmes pour tout le monde, tandis que chaque autre personnage est parfait et aimable. La chose qui peut être la plus difficile pour la lutte de Pat, c’est qu’il est entièrement responsable de son passé traumatisant. Quand il a vu sa femme avec un autre homme, il a traversé une frontière très importante : Il a réagit brutalement en devenant abusif physiquement. Il n’y a aucune excuse pour ce comportement, et il le sait. Cependant, sa crise veritable d’avoir été sans son amour, sans sa famille, sans ses amis pendant plusieurs mois dans un hôpital psychiatrique, c’est un traumatisme-même, quelles que soient les circonstances. Cela veut dire que cette expérience de se rendre compte qu’il est responsable de son passé peut devenir même plus difficile pour lui.

Parce que ce film est centré sur sa récupération et sa réadaptation dans la vie normale et quotidienne, le portrait de cet homme en crise est primordial dans sa considération comme un film indépendant ou pas. Le public voit sa lutte avec sa responsabilité pour ses actions, parmi ses efforts de retrouver l’amour et les relations saines, au fur et à mesure. La caméra capture chaque moment où il hésite avec Tiffany. Durant leur première rencontre, par exemple, il la regarde pendant longtemps, dit qu’elle est jolie, et presque immédiatement après, il demande comment son mari est mort. J’ai déjà mentionné le rendez-vous-pas-un-rencard des deux personnages durant la fête d'Halloween, où Pat est vraiment fasciné par chaque mot qu’elle dit. Même quand il est de plus en plus clair que ce moment capture un acte de sexualisation de sa récupération après la mort de son mari, il trouve avec elle un type de conversation, un moyen d’être stimulé et excité qu’il n’avait jamais eu avec son ex-femme—qui pensait que « c'était sale » .

Il y a aussi le premier moment qui peut être considéré comme la reconnaissance—bien que nié par Pat—de leur amour : Quand ils répètent la première fois, Tiffany lui demande : « Pars du coin et marche vers moi » . Elle lui instruit de ne pas encore lever les yeux jusqu'à la fin. Quand ils sont séparés par quelques centimètres au maximum, ils se regardent, et Pat respire. Celle-ci est une technique extrêmement hollywoodienne, et connue par des acteurs autour du monde : Pour montrer l’amour, regarder le sol pendant quelques secondes, lever lentement la tête, et respirer.

Le premier aspect important ici, c’est que Tiffany lui demande de l’approcher comme si elle était Nikki, pour lui déclencher des sentiments de romance et de perte, pour bien commencer leur processus émotionnel de construire leur routine de danse. Alors, les intentions de sa marche vers elle ne sont pas forcément inspirées par son amour pour elle. C’est pour cela que quand Tiffany qualifie leur regard partagé— « Tu sens ça ? Ça s’appelle une émotion » —, Pat la réfute sans remords : « Je ne sens rien » . C’est aussi une grande critique des codes hollywoodiens : Des personnages hollywoodiens ne diraient jamais quand ils pensent qu’un moment est émotionnel, parce que l’explication est rarement nécessaire pour que le public puisse comprendre. En revanche, c’est aux personnages dans Happiness therapy de discuter cette technique pour former une méta-critique du cinéma-même.

La lutte de Pat pour trouver le vrai amour est bien connecté avec son désir de récupérer de son passé de traumatisme, parce que cela le force à être vulnérable dans ses rapports sociaux et à donner bien plus de pouvoir aux autres gens dans sa vie. Lorsque le combat dans la douche était son moment de réclamer le pouvoir total avec de la force—même quand le pouvoir de son mariage était complètement avec sa femme, qui l’a détérioré secrètement sans qu’il ne sache—le reste du film est sur les moments où il ne peut pas prendre lui-même la décision la plus raisonnable. Quand son père organise son dernier pari, Pat essaye de l'arrêter, mais tout le pouvoir social reste avec son père et Tiffany, qui l’encourage, en confirmant qu’ils peuvent gagner assez de points. Durant ses répétitions, ce n’est que Tiffany, et une fois Danny, qui contrôle la routine. Le seul vrai moment d'agence entière pour lui dans ce film est à la fin, où il confirme à Tiffany qu’il savait qu’elle fabriquait les lettres, et qu’il l’aimait aussi. C’est à la fois un symbole de sa récupération et son développement émotionnel, qu’il peut à la fois réclamer un sens de pouvoir social et rester responsable et gentil à son amour.

Ce film présente une dépiction d’un homme en crise, et sa récupération du traumatisme pour lequel il est responsable, qui est véritable et attendrissant. Même parmi des depictions négatives des personnes de couleur, il est possible de dire que ce film est bien indépendant. Il serait peut-être trop exigeant de dire que tous les films indépendants doivent aussi exister sans question de morale. L’aspect le plus important, à mon avis, en considérant si ce film est bien indépendant, c’est que toutes les impressions des personnages dans ce film sont extrêmement sincères, et très complexes, aussi, même s’ils ne sont pas toutes très positives. Comme Tiago Rodrigues a écrit, en citant Gustave Flaubert dans sa pièce, Bovary : « Si l’art ne montre que ce qui est bon, il n’y a pas de distinction entre le bien et le mal » . Il est toujours possible de beaucoup apprendre et d’apprécier ce film comme un projet indépendant, même en considérant tous ses défauts.

3. La représentation du conflit, vis-à-vis des codes hollywoodiens et indépendants

Comme j’ai déjà discuté, la politique de représentation raciale dans ce film peut donner l'idée qu’il est surement hollywoodien—une romance troublée entre deux jeunes gens blancs qui habitent dans la banlieue bourgeoise de Philadelphie. La première impression de ce film est un récit simple et déjà exploré plusieurs fois. Pour être un vrai projet indépendant, alors, il doit porter quelque chose d’unique pour faire plus que valider l'hégémonie d’une manière simple et réductive. Il doit aussi se battre contre la fausse universalité, un thème commun dans les films hollywoodiens. Il est aussi important que Happiness therapy utilise sa posture négociée, avec laquelle il recycle des normes hollywoodiens pour les déjouer, et formuler une critique de l’industrie. Ce qui marque ce film unique, c’est qu’il recycle et critique aussi des normes de Indiewood, pour raconter une histoire qui est à la fois authentique et applicable à beaucoup du monde. Cette une posture contre la fausse universalité, qui est présente dans plusieurs films hollywoodiens, mais qui porte aussi une histoire à laquelle beaucoup du monde peut se rapporter et apprécier.

Il y a premièrement une technique indépendante commune dans ce film qui le marque contre Hollywood. Chaque scène est presque totalement réalisée avec une caméra à l'épaule. Durant plusieurs séquences, la caméra tremble quelquefois, pour dévoiler ce réalisme. Cette technique n’est pas très commune dans la réalisation des films hollywoodiens, au moins dans les scènes tranquilles, comme la conversation susmentionnée entre Pat et Tiffany au Llanerch Diner. Cela donne une ambiance réaliste aux scènes calmes, comme si le public est vraiment dans le restaurant avec les personnages. C’est une technique indépendante presque classique, parce qu’elle est presque une parodie du genre indépendant. Un directeur de photographie pourrait enlever le trépied et, du coup, le film entier devient soudainement perçu comme si c'était indépendant. En vrai, il n’y a pas forcément une seule technique qui déterminerait le niveau d'indépendance d’un film.

Je propose que le sujet du film qui déjoue des codes hollywoodiens et indépendants, c’est le rôle de la violence, qui rend le récit bien plus véritable que les blockbusters et plus applicable à la vie normale que les films indépendants. Cette argument est partiellement parce que Bradley Cooper, Jennifer Lawrence, et Robert De Niro sont tous bien connus pour leurs rôles dans des films d’action et de suspense. Alors, voir Jennifer Lawrence dans un rôle d’une femme qui, au lieu de l’archerie, fait de la danse, et Bradley Cooper, en train de récupérer émotionnellement et psychologiquement de son propre traumatisme, c’est quelque chose de différent. Cela forme une posture « contre Hollywood » . La majorité des luttes dans ce film sont ou intrapersonnelles et psychologiques ou interpersonnelles et conversationnelles. Voilà la différence entre Drive et Fast and furious, par exemple. Comme Drive, les money-shots dans Happiness therapy sont à peine significatifs, s’ils existent. Ce sont les longues conversations difficiles entre plusieurs personnages qui portent le plus de valeur du récit.

Ce film déjoue aussi Indiewood. Les films indépendants qui s’approchent des sujets de dépression et de désespoir montrent fréquemment toute la brutalité du traumatisme, pour rendre l’histoire plus authentique. Le problème, c’est que ces scènes traumatisantes ne sont pas nécessairement applicables à beaucoup du monde. Ainsi, l’inclusion de ces détails extrêmement violents d’une histoire qui montre le plus minuscule secteur de la population rend le film un peu mélodramatique, pour un public qui n’a pas d’expériences même proches de celles montrées sur l'écran. Dans la vie quotidienne, on voit plutôt des micro-agressions physiques qui pourraient au fur et à mesure se développer. Elles ne sont pas forcément trop violentes ni sanglantes, mais physiques quand-même. Cette nuance est de temps en temps perdue à Hollywood et à Indiewood, pour faire s’amuser ou dégouter le public. Le moment où Pat est au bureau du psychothérapeute est un bon exemple de cette nuance dans Happiness therapy : Lorsqu’il déplace des chaises et des magazines, hurle pour caster l’attention d’une personne qui puisse changer la chanson, et faire peur aux gens autour de lui, la situation ne devient pas très violente ou traumatisante pour ceux qui sont au bureau avec lui. Elle est difficile et complexe, mais comme des problèmes similaires dans la vraie vie, sa durée est courte, et les choses s’arrangent après.

La plus grande séquence de violence dans ce film est celle où Pat réveille ses parents pour se plaindre qu’il n’arrive pas à trouver sa vidéo de mariage. Il est après trois heures du matin, et sa mère le suit quand il cherche à travers la maison. Dans sa frustration, il la pousse, et elle tombe sur le sol du grenier, et immédiatement après, le père de Pat commence à le combattre, en le forçant sur le lit et le frappant. Les angles de prise de vues changent rapidement entre les perspectives de Pat, de son père, de sa mère, et un autre angle au-dessus du lit. C’est surement un moment de brutalité, mais la scène dure une demie-minute au maximum, et il n’y a jamais de sang. Elle est difficile à regarder et très émotionnelle, mais pas dramatique ni exagérée. Elle porte des ramifications difficiles pour tout le monde, particulièrement parce que la récupération de Pat et ses tentations de se battre est vraiment au centre du film, mais elle finit sans faire vomir le public. Elle garde sa signification et sa pertinence, sans montrer les plus pires situations possibles vis-à-vis des gens en crise. Cette nuance de la représentation de violence dans Happiness therapy est aussi si importante pour démystifier les gens qui souffrent des maladies psychologiques. Pour éviter le stéréotype qu’ils sont tous terribles et que chaque interaction avec eux est endémiquement traumatisante, cette représentation de ces gens comme les personnes normales et compréhensibles rend le film sûrement authentique, sans obéir aux codes non-officiels du cinéma indépendant.

Ces arguments de Happiness therapy comme un film qui transcendent les codes hollywoodiens et indépendants, qui est véritable et émouvante, et qui représente les personnages avec du soin et du respect—ils portent tous ma dernière implication : C’est un film qui est différent des projets standards de Hollywood. Voila son autre logique, que sa nature-même d'être indépendant et crédible et aussi applicable à beaucoup du monde dans une histoire qui n’est pas universelle, mais qui est touchante, quand-même, le rend un film meilleur. C’est probablement pour cela que le film a gagné quatre prix aux Independent Spirit Awards, et qu’il était aussi nominé pour huit prix des Academy Awards, pour devenir le seul film depuis 31 ans à être nominé pour les sept catégories majeures des Oscars. Malgré sa posture négociée vis-à-vis des codes hollywoodiens, il est quand-même largement reconnu comme un véritable succès.

Conclusion

Happiness therapy est surement un cas unique et sa nature, en tant que film indépendant ou demi-blockbuster est plutôt une source de controverse. Le negative cost de sa production est bien plus grand que la grande majorité des films indépendants, avec une bonne raison : La distribution est remplie de vedettes internationales qui sont bien connues par tout le monde depuis longtemps. La question de représentation dans ce film rend perplexe beaucoup du monde, parce qu’il essaie d’identifier et d’explorer les problèmes et les crises des gens marginaux dans la banlieue très riche de Philadelphie. C’est un récit par les gens à l'intérieur de la classe dominante, et ce n’est pas toujours le cas que cette formulation fabriquerait vraiment une œuvre cinématique indépendante. Cependant, cette histoire d’amour endommagé par des maladies psychologiques, la brutalité, et le deuil, elle est une histoire crédible et réaliste. Elle est authentique sans exagération ni mélodrame. Elle résiste aux standards de Hollywood pour les déjouer. Alors que Happiness therapy n’est pas parfait du tout—avec des scènes dans le film qui renforcent des stéréotypes négatifs et un faux choix entre mineur ou problématique pour les acteurs de couleur—il est toujours indépendant quand-même.

Cette analyse de Happiness therapy comme un film indépendant porte de nouveaux significatifs pour les films bien connus qui pourraient susciter des controverses sur leur catégorisations de genre. Si tout le monde accepte que le placement dans l’industrie de cinéma américain n’est pas assez pour catégoriser un film, et qu’il y a d’autres considérations également importantes, qu’est-ce que cela veut dire pour les autres films similaires à Happiness therapy ?

Je pense maintenant aux films de Wes Anderson, qui emploient de plus en plus de très grands budgets de production et qui profitent d’une distribution de stars qui, comme celles de Happiness therapy, font fureur à travers le monde. Depuis son début en tant que cinéaste, il porte une connotation du reconnaissable réalisateur indépendant, qui possède un style unique. Ces films sont connus comme des chef-d’œuvres et des projets étranges. Cependant, ces films sont de grandes productions, et tandis qu’il ne construit pas de séries planifiées pour la consommation de masse, c’est exactement ce qui se passe avec chacun de ses films. Beaucoup de monde cherche dans ses films un sens d'originalité et une image Wes Anderson-esque, avec des portraits de personnages éclectiques qui sont souvent filmés au centre exact du cadre, et des mises-en-scène élégantes, extravagantes, et extrêmement ordonnées. Ses films sont-ils tous pareils—ou assez similaires pour se demander si son œuvre peut être plutôt considérée comme une série de grandes productions ? Si Happiness therapy peut être légitimement considéré comme un projet indépendant, malgré l’argent et les vedettes derrière le film, il y a beaucoup à discuter sur cette œuvre similaire.

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