25 mai 2018

Quels liens particuliers la marionnette entretient-elle avec le texte et la voix ?

Pour un genre de théâtre qui rappelle beaucoup de monde de la danse classique—où il n’y a pas de paroles—la marionnette maintient des relations précaires avec le texte et la voix. Ces liens particuliers sont souvent connectés à la relation entre la marionnette et le manipulateur, parce que le manipulateur construit l’illusion de sa vie, en la faisant parler. Pour chaque technique différente la faisant parler ou pas, il y a des ramifications uniques. Elles dépendent en grande partie du texte, aussi, qui dirige les manipulateurs et les marionnettes. Somme toute, les relations entre la marionnette, la voix, et la parole suscitent des rapports dialectiques entre le manipulateur et la marionnette, vis-à-vis la liberté d’agir de façon autonome.


Le manipulateur parle fréquemment pour la marionnette d’une façon transparente, afin que la marionnette bouge comme si elle parlait en vrai. Avec cette technique, le manipulateur contrôle les mouvements et la voix de la poupée. Il lui donne l’illusion de la vie, avec une faculté émotionnelle. Par conséquent, la marionnette subit une transformation d’objet à personnage. Quelques spectacles qui exploitent cette technique sont White dog, Chambre noire, Avenue Q, et Nosferatu. Malgré l’illusion de l’autonomie de la marionnette, c’est toujours le manipulateur qui décide tout ce que la marionnette fait et dit. En fait, s’il décide tout d’un coup d’improviser, il peut donner de nouvelles paroles à la marionnette, sans objection, parce qu’elle n’est pas capable de protester. Alors, le manipulateur contrôle aussi la direction de l’histoire. Ainsi, les inégalités de la capacité à dire ce que l’on veut rend toujours la marionnette subordonnée au manipulateur. C’est la raison pour laquelle le chien dans White dog n’aboie que quand son manipulateur le veut, et les marionnettes dans Avenue Q chante quand leurs manipulateurs décident de chanter. Grâce à cette inégalité, la marionnette est toujours obligée de suivre le manipulateur qui dirige l’histoire.



En revanche, pour la ventriloquie, le manipulateur ne montre jamais au public les mouvements de sa bouche qui dévoilent la véritable source des voix de marionnettes. Alors, le public regarde les marionnettes sans savoir qui parle. Dans la pièce VentrilOque !, par exemple, l’acteur principal donne une voix différente à tous les personnages. Sans le programme qui clarifie qu’il est seul sur scène, il est difficile d’être totalement sûr qu’il n’y a pas quelqu’un d’autre qui l’aide. Par conséquent, tandis que la technique précédente rend les manipulateurs les plus puissants sur scène, un ventriloque peut décevoir le public et manipuler la salle entière, la marionnette semble alors plus forte que son manipulateur et souvent impertinente.

Les manipulateurs peuvent aussi dialoguer avec les marionnettes, comme dans VentrilOque !, White dog, Chambre noire, et Avenue Q. Cette technique donne un air d'humanité aux marionnettes, parce qu’elles sont élevées au niveau conversationnel des manipulateurs. Elles parlent à leurs manipulateurs comme si tous étaient des êtres-humains totalement autonomes. Cependant, cette indépendance conversationnelle n’est qu’une illusion. Quelle que soit l’origine des voix des marionnettes, elles ne peuvent jamais contrôler ce qu’elles disent. En fait, elles sont toujours sous la submission des manipulateurs, grâce à cette inégalité.

Similairement, les marionnettes interagissent aussi quelquefois avec les acteurs qui n’ont pas de poupées, comme le percussionniste dans White dog. Egalement, dans Avenue Q, Tatami, Willy, et Brian parlent aux marionnettes,  alors qu’ils ne les manipulent jamais. Cela donne une plus grande illusion de l’autonomie des marionnettes, parce que leurs relations interpersonnelles ne sont pas limitées à leurs manipulateurs. Avec cette technique, les manipulateurs ne contrôlent pas toute la situation. Les non-manipulateurs peuvent aussi diriger la conversation. Cependant, la relation entre la parole et le pouvoir reste identique : ceux qui contrôlent les mots dirigent l’histoire, et ce n’est jamais la marionnette.

Les manipulateurs portent aussi quelquefois les marionnettes comme des costumes, pour rendre la frontière entre être-humain et poupée plus floue. Dans ce cas, l’acteur parle à une marionnette portée par lui-même ou quelqu’un d’autre, donc il est de difficile de toujours distinguer si c’est l’acteur ou la marionnette qui parle. Romain Gary, par exemple, est en grandeur réel dans White dog, donc il est clair quand c’est la poupée qui parle, grâce aux mouvements de son visage. Par contre, dans Chambre noire, quand Yngvild Aspeli porte un costume à plusieurs jambes, comme une araignée-humanoïde, il est difficile de toujours différencier son propre personnage de celui de la marionnette. Quand un acteur incarne sa poupée, les niveaux de pouvoir sont incertain, parce que l’objet exploite le visage du manipulateur pour parler. Ainsi, si le public ne peut identifier tout ceux qui contrôlent la parole sur scène, la marionnette et le manipulateur deviennent presque égaux.

Il y a aussi des voix enregistrées des marionnettes, comme dans le théâtre de Rézo Gabriadzé, dont la pièce Ramona. Dans ce cas, les manipulateurs doivent synchroniser les actions des marionnettes avec les voix enregistrées, afin que le public puisse comprendre l’histoire. Alors, les manipulateurs deviennent les poupées du metteur-en-scène, parce que leurs décisions sont prises par lui. Par contre, dans La Passion, tandis que les voix des marionnettes sont enregistrées, un animateur humain introduit chaque scène en direct, et les manipulateurs ronchonnent audiblement durant les moments frustrants de l’histoire. De toute façon, les manipulateurs sont contrôlés par la dictature de la parole, mais ces gémissements montrent qu’ils ont un peu plus d’autonomie que leurs marionnettes.

Pour les spectacles de marionnettes sans voix ni texte, la relation de pouvoir entre le manipulateur et la marionnette est plus floue, parce que la faculté de parler ne donne rien aux manipulateurs. Dans Cubix, par exemple, les cubes sont illuminés et changent de couleurs selon leur positionnement sur scène et leur orientation vis-à-vis des autres cubes. Alors, ce n’est pas la parole, mais la couleur du cube qui donne une personnalité aux marionnettes. Ce spectacle permet plus d’égalité entre les manipulateurs et les marionnettes, parce que le récit est indépendant de la parole.

Pour tous les spectacles précités avec des voix, le pouvoir se trouve au centre de la faculté de parler et de diriger la conversation. Cependant, c’est peut-être le texte qui contrôle l’histoire. En dehors d’improvisation, le texte—mais pas toujours le scénario—détermine la direction dramaturgique de la pièce. VentrilOque !, White dog, Nosferatu, La Passion, et Chambre noire, par exemple, sont tous d'après des livres déjà publiés. Dans ces cas, le texte original sert plutôt de prétexte pour le travail scénique. Il donne les prerequisites nécessaires pour les rapports dialectiques entre les manipulateurs qui peuvent parler librement et les marionnettes qui ne le peuvent pas. Ainsi, grâce à cette inégalité d’autonomie vocale, la marionnette est presque toujours soumise à son manipulateur.

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White dog : Mise-en-scène : Jonas Coutancier et Camille Trouvé, du 30 janvier au 11 février 2018, au Théâtre Mouffetard.
Chambre noire : Mise-en-scène : Yngvild Aspeli et Paola Rizza, le 13 février 2018, au Théâtre au Fil de l'eau.
Avenue Q : Mise-en-scène : Dominique Guillo, du 7 février au 26 mai 2012, au Théâtre Bobino.
Nosferatu : Mise-en-scène : Denis Athimon et Julien Mellano, du 10 au 13 avril 2018, au Théâtre Mouffetard.
VentrilOque ! : Mise-en-scène : Emilie Flacher et Nicolas Ramond, du 7 au 8 avril 2018, à La Nef - Manufacture d'utopies.
Ramona : Mise-en-scène : Rézo Gabriadzé, du 11 au 17 juillet 2017, à la Maison Jean Vilar.
La Passion : Mise-en-scène : Michel de Ghelderode, du 29 mars au 21 avril 2018, au Théâtre Royal de Toone.
Cubix : Mise-en-scène : Mathieu Enderlin, du 14 au 25 mars 2018, au Théâtre Mouffetard.

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